Ces dernières décennies, de nombreuses avancées thérapeutiques ont marqué la diabétologie avec notamment l’avènement d’outils de mesure comme les capteurs de glycémie mais aussi de traitements tels que les pompes à insuline, de plus en plus modernes. Au-delà de l’aspect pratique dans la gestion du diabète au quotidien et de l’amélioration significative attendue dans l’équilibre glycémique, ces outils sont autant d’objets reliés au corps et à l’esprit du malade. Souvent accueillis comme une aide précieuse, symboles d’efficacité et de fiabilité, ils peuvent aussi susciter le doute face à trop de technicité, voire générer de l’angoisse en réveillant le traumatisme d’une maladie difficile à accepter. Comment expliquer cette contradiction ? Quels sont les enjeux de cette étape thérapeutique dans la prise en charge du patient diabétique ?

Devenir diabétique signifie, pour le sujet, cheminer à travers des étapes de l’ordre du deuil. D’abord sidéré par l’annonce du diagnostic, il se heurte à ses propres représentations de la maladie en général et du diabète en particulier : tantôt redouté, tantôt ignoré. Selon les ressources et la prise en charge dont il dispose, le patient avance ensuite dans la compréhension du fonctionnement, du traitement et des enjeux de la maladie chronique. A ce parcours initiatique se mêlent des mouvements émotionnels perturbants et contradictoires (tristesse, peur, colère, motivation, espoir…). Plus l’accompagnement est adapté et complet, mieux le diabétique parvient à faire le tri entre ses propres croyances chargées d’émotions et la construction d’un savoir et d’une expérience qui deviennent eux-mêmes un savoir-être diabétique. Mais cela ne suffit pas forcément à équilibrer le diabète et c’est là que peut se poser la question de nouveaux outils.

Il n’est pas rare que cette mise en place fragilise le patient diabétique. Tout est une question d’équilibre et de repères lentement acquis. Le patient s’est organisé, structuré (horaires, hygiène de vie, contrôles, modalités de prise du traitement ou de correction de la glycémie) ou au contraire il sort d’une période de rupture thérapeutique, dans le flou et la perte de repères. Le nouvel outil thérapeutique vient modifier cette organisation. Cela peut générer une certaine anxiété, la peur de perdre le contrôle et de déséquilibrer son diabète. Dans cette difficulté à lâcher-prise, la dimension de contrôle est omniprésente, ainsi que la culpabilité et le manque de confiance en soi. L’arrivée d’un outil plus moderne peut être vue comme le résultat d’un échec « je ne suis pas capable seul », « j’ai commis des erreurs »… Elle réveille parfois un sentiment d’injustice et un vécu punitif que certains ont éprouvé à l’annonce du diagnostic.

 

En parallèle, le sujet diabétique se trouve au défi d’apprivoiser la machine. Malgré le temps consacré par les soignants à l’éducation et l’accompagnement proposé (hospitalier, IDE en libéral, prestataires) un temps de sidération peut ralentir la compréhension du fonctionnement de l’appareil. Il peut être délicat de faire confiance à la machine, par peur des conséquences glycémiques. Le patient en manipulant la machine, peut avoir le sentiment de « jouer » avec sa santé. Enfin la barrière générationnelle pour des patients plus âgés. Il faut préciser aussi qu’au-delà de la pédagogie, c’est par la pratique dans son quotidien que le patient va vraiment expérimenter cette nouveauté. Bien conscient de cet enjeu, c’est avec appréhension et une certaine solitude qu’il peut s’y projeter. « Et si je n’y arrivais pas ? Et si la machine tombait en panne ? Et si elle se trompait ? »

Enfin la machine peut être déshumanisante. Un corps étranger collé voire branché à la peau, qui émet des sons à portée anxiogène… C’est un assistant dans la gestion du diabète mais c’est aussi ce qui le rend visible ! Comment faire avec cet objet à la fois traitement et symptôme ? Certains patients ont du mal à négocier avec cette question du visible. C’est encore une fois la question de l’identité qui se pose : « suis-je malade au point que cela se voie ? Puis-je échapper à cette réalité ou me suivra-t-elle dans tous les instants de ma vie et de mon intimité ? » La visibilité du diabète questionne le sujet dans toutes les sphères de sa vie : professionnelle, affective et sociale. Que dire de sa maladie chronique et comment en parler ? Qu’est-ce que cela pourrait changer ?

 

Comme dans toute maladie chronique, l’acceptation est en enjeu permanent et il semble que rien ne soit jamais vraiment acquis. Chaque étape de la maladie, même thérapeutique, renvoie le sujet à la façon dont il peut l’intégrer dans son identité et sa dynamique de vie, ainsi même à ses ressources et à ses failles. L’alliance thérapeutique n’impose pas, elle propose. Dans la confiance du lien, dans la connaissance mutuelle, des outils modernes peuvent trouver leur place si le patient se sent la liberté de les appréhender avant de pouvoir les apprivoiser. Laisser au patient le temps et la place d’exprimer ses doutes, parfois même ses angoisses et son rejet, c’est revenir avec lui sur l’essence même de la chronicité : contraignante, omniprésente et aliénante.

Lorsque le patient se sent entendu et respecté dans ce qui fait obstacle, il est souvent plus facile de se projeter ensemble dans ce qui est réalisable. Cela peut être une façon d’ouvrir un espace pour l’affirmation de soi à travers la découverte puis l’appropriation de l’appareil, au rythme qui sera le sien. Envisager une période d’essai et rappeler que le refus reste sa liberté, c’est éviter qu’une relation de contrainte ne s’installe et ne vienne affaiblir le lien thérapeutique, favorisant un éloignement et des prises de risque. Il s’agit avant tout de chercher un compromis essentiel entre les contraintes de la maladie et le confort d’un équilibre glycémique qui permette de vivre. Comme disait Claude Lévi Strauss « Chaque progrès donne un nouvel espoir, suspendu à la solution d’une nouvelle difficulté. »