Le DT1, une maladie qui isole

Le diabète de type 1, maladie auto-immune qui concerne près de 10% de la population diabétique en France et progresse de 3 à 4% par an, met au défi les patients tout autant que les équipes soignantes qui les accompagnent. Une fois le diagnostic posé, l’individu se trouve confronté à l’enjeu permanent de maintenir un équilibre glycémique permettant de limiter l’évolution de la maladie et de prévenir  l’apparition des complications (cardiovasculaires, visuelles, rénales…). 

Dans cette recherche de l’équilibre, l’insuline devient un produit vital, mais selon le dosage une source d’apaisement ou au contraire un facteur de décompensation. C’est autour et à travers elle que tout se calcule, que tout s’organise. Nuit et jour, le patient a pour objectif de maintenir autant que possible cette constance glycémique autour de valeurs optimales. Cette permanence n’est pas sans conséquence sur le plan psychologique. Au cœur des enjeux de santé, elle s’inscrit dans  chaque projet,  chaque décision, dans tous les comportements et toutes les relations. Il en résulte une charge mentale significative pour le malade.

Toutes les sphères de la vie sont touchées, à commencer par l’alimentation. L’acte de manger, comportement de survie élémentaire, est au regard du DT1 un exercice complexe. Longtemps soumis aux exigences de l’équilibre glycémique, il avait évincé toute dimension de plaisir et de convivialité sociale (gestion stricte des quantités, de la composition des repas et du rythme de prise alimentaire). Heureusement avec le développement de l’éducation thérapeutique, l’apparition des pompes à insuline et l’utilisation de l’insulinothérapie fonctionnelle permettant un calcul glucidique et une meilleure adaptation des doses, on s’oriente vers une plus grande liberté alimentaire. Néanmoins, nombre d’anciens diabétiques se sont ancrés dans une attitude restrictive et contrôlante vis-à-vis de leur alimentation.  Elle fait l’objet d’une anticipation anxieuse, peu rattachée à la notion de plaisir. 

Malgré une auto surveillance de tous les instants, des aménagements quotidiens parfois aliénants et l’impact potentiel dans la vie relationnelle et l’épanouissement de soi, une variabilité glycémique demeure et s’accroît avec les années. Elle nourrit chez le sujet un sentiment d’usure, renforce parfois un sentiment d’échec et d’impuissance faisant le lit d’un vécu dépressif (découragement, repli sur soi, affects négatifs, auto censure). La dépression peut à son tour majorer l’angoisse liée aux risques de complications et l’autocontrôle, ou au contraire creuser un désinvestissement de soi propice à la rupture thérapeutique. Dans tous les cas cet état dépressif accentue le déséquilibre glycémique. Le cercle vicieux est en place et son préjudice est encore trop peu reconnu. 

Comme l’évoquent les psychiatres Sylvain THIEBAUT, Sébastien GUILLAUME et Philippe COURTET dans la présentation de leurs recherches sur les relations bidirectionnelles entre diabète et dépression : « Le risque de développer une dépression est 3 fois plus élevé chez les patients diabétiques de type 1 ». Ils précisent que : « La présence d’une dépression aggrave le pronostic des patients diabétiques » mais aussi que « La qualité de vie est altérée, il y a un risque de handicap, une surmortalité globale ».

Face à cet enjeu humain, la technologie ne cesse de progresser, offrant aux malades toujours plus d’ergonomie et de précision thérapeutique. Parmi ces nouveaux outils, le système de la boucle fermée, communément appelé « Pancréas artificiel » constitue une avancée thérapeutique majeure dans la prise en charge du DT1.

La Boucle Fermée, une avancée thérapeutique majeure

La boucle fermée, pompe à insuline à intelligence artificielle est commercialisée en France depuis 2021. Elle est constituée de 2 ou 3 éléments communiquant entre eux par Bluetooth : un capteur de glucose posé sur la peau qui va mesurer en continu le taux de sucre et transmettre ces informations à une pompe dite intelligente, c’est à dire dotée d’une sorte de cerveau appelé algorithme qui va être capable de calculer seule les doses d’insuline nécessaires pour maintenir le taux de sucre du patient dans l’objectif souhaité. Cet outil novateur a fourni les preuves de son efficacité, tant sur le plan médical que dans l’amélioration de la qualité de vie du patient. En 2023, près de 15000 patients diabétiques de type 1 bénéficient de ce dispositif. 

Les résultats issus des premières études ne le démentent pas. Sur le plan médical, des essais contrôlés randomisés rapportent une augmentation moyenne de 10% du temps passé dans la cible (valeurs glycémiques optimales), une légère baisse de l’hémoglobine glyquée (HbA1c) sans augmentation des hypoglycémies ainsi qu’une amélioration du coefficient de variation glycémique. 

Sur le plan de la qualité de vie, les retours sont tout aussi encourageants. Les diabétiques de type 1 équipés de ce dispositif, rencontrés régulièrement dans le cadre du protocole de suivi pluridisciplinaire, décrivent pour nombre d’entre eux un sentiment de mieux-être global. A mesure qu’une relation de complémentarité et de confiance se construit avec la machine, ils évoquent une sensation progressive d’allègement de la charge mentale. Une plus grande souplesse alimentaire, une meilleure qualité de sommeil, la réduction des angoisses liées aux pics glycémiques sévères et leurs conséquences… Tous ces éléments tendent à nourrir un sentiment de valorisation personnelle et de progression dans la gestion de la maladie, contribuant à l’amélioration de l’humeur. Les résultats d’études (EQOL, QUALIMED) très attendus sur la qualité de vie des patients équipés permettront peut-être d’affiner ces éléments cliniques. 

Au-delà de ces aspects prometteurs, l’objectivité reste de mise face à ce traitement. Comme le soulignait le Professeur RIVELINE lors d’une Rencontres experts autour de l’insulinothérapie par boucle fermée lors du congrès de la SFD en mars 2023: « la BF ne peut être un succès que si le vécu du patient est en accord avec ses attentes ». Ainsi les recommandations des experts en France préconisent « une phase de préparation avant mise en route permettant d’expliquer la BF et de recueillir les attentes des patients, ainsi qu’une phase de suivi ». 

Le service d’endocrinologie du CHP, premier service de France à équiper des patients hors étude clinique en 2020, a pensé sa prise en charge dans une optique pluri professionnelle. A la lumière de cette expérience, nous constatons aujourd’hui que les regards croisés permettent au patient de se revaloriser dans l’échange et l’interrelation et de mieux appréhender les contradictions inhérentes à la maladie.

L’interactivité au cœur de la prise en charge hospitalière

Chaque mois, un groupe de patients bénéficie de la mise en place de la boucle fermée. Ils participent sur plusieurs HDJ consécutives à des ateliers pluri disciplinaires. 

L’accent est mis sur la dimension groupale d’une part. Elle permet d’appréhender le nouveau dispositif dans le cadre convivial et sécurisant du groupe, où peuvent résonner des expériences similaires  et se mutualiser des points de vue différents. Le groupe favorise un sentiment d’appartenance à une aventure commune, un bouclier face aux angoisses, un fond commun où peuvent s’élaborer des trajectoires individuelles. Le même groupe de patients participe à tous les ateliers, dans une rencontre initiale et finale avec toute l’équipe, puis avec chacun des soignants. 

L’autre axe de notre travail considère le patient dans sa globalité. Chaque atelier vise à acquérir par l’interactivité et la pratique des notions et des outils propices à l’auto soin. Médecin, infirmière, aide-soignante, diététicienne, psychologue, kinésithérapeute, prestataires sont autant d’acteurs qui jalonnent la découverte pas à pas des modalités de fonctionnement de la boucle fermée, ses enjeux au quotidien (matériel, alimentation, activité physique). Le tout dans un va-et-vient entre le cadre hospitalier et le monde extérieur.

A travers cette expérience commune le patient s’approprie la logique nouvelle de l’intelligence artificielle et la pertinence du lâcher-prise qui en garantit la pleine fonctionnalité. Il peut avancer dans la compréhension, se révéler dans la prise de conscience de ses compétences, de ses doutes et de sa vulnérabilité. Cela peut être l’occasion d’accueillir des émotions voire des blocages relevant de son rapport à lui-même, à la maladie et de son cheminement dans l’acceptation de celle-ci. Les liens de groupe perdurent dans des HDJ de suivi où les patients se retrouvent à 3 mois et 1 an de la pose du dispositif, faisant un retour collectif et avec chacun des professionnels de santé sur leur vécu, confrontant leurs expériences, apportant lorsqu’ils le souhaitent un témoignage précieux aux patients présents à leur tour pour initier la boucle fermée. 

Dans le prisme de ce changement thérapeutique, la logique du compromis chère à la maladie chronique s’impose, le sujet peut osciller entre la tentation de rester dans des attitudes de contrôle apprises et faussement rassurantes, à l’efficacité illusoire, et celle de laisser à l’IA tout le loisir de gérer une maladie qui ne serait plus la sienne, se heurtant ainsi aux limites inévitables de la technologie, aux inconnues qu’elle ne peut anticiper, aux mouvements émotionnels qu’elle ne peut conceptualiser. L’alliance thérapeutique offre une base solide et durable pour accueillir cette ambivalence, une temporalité respectueuse de chacun, avant, pendant et après la pose du dispositif. Elle est la clé de voûte qui peut permettre de lever les obstacles conscients ou inconscients,  de relativiser le doute destructeur ou les attentes irréalistes projetées sur le dispositif.

Conclusion

La boucle fermée constitue sans nul doute une avancée thérapeutique majeure dans la prise en charge du DT1. L’intelligence artificielle nous confère une précision et une personnalisation sans précédent dans la prise en compte simultanée des multiples facteurs qui influencent la variabilité glycémique. Il en résulte une amélioration notable de la santé et de la qualité de vie, notamment via l’allègement de la charge mentale du patient. 

Mais au-delà, comme nous le montre depuis bientôt 3 ans la prise en charge pluridisciplinaire et groupale des patients, c’est un retour vers soi tout autant qu’une projection dans l’avenir qui ne peut prendre sa pleine mesure que sur la base d’un lien de confiance et d’engagement réciproque. Le respect de la personne humaine dans sa globalité, la singularité de ses attentes sont eux aussi des enjeux cruciaux dans la pérennité de ce traitement. 

Comme le dit Philippe BARRIER (professeur de philosophie et DT1) dans son dernier ouvrage « On voit clairement, encore une fois, à quel point la médecine ne peut se limiter à l’objectivité de la science, et qu’elle est un art : du compromis, de la diplomatie, de l’équilibre, de l’harmonie. »

 

Article rédigé par Jessica Belhocine, psychologue.